Les Deuxièmes Hommes  - Les histoires de ceux qui sont dans l’ombre
Auteur : Erdinç Yücel
Langue: Turc
Première édition : Janvier 2019 - Turquie
ISBN : 978-605-2241-84-4

Table des matières : 
Introduction
Les ombres de la fiction (Batman – Robin – Joker)
Le géant silencieux (Kafka)
L’homme qui aime les chiens (Trotski) 
Le premier selfie dans l’espace (Buzz Aldrin)
Les hommes du président (William McKinley)
Le gendre du dictateur (Galeazzo Ciano)
Grand-père, Petit fils, Dystopie sacrée (T. H. Huxley – Aldous Huxley)
C’est qui le premier ? Tesla ou Edison ? C’est qui le deuxième ? Staline ou Trotski ? Goebbels, Hess, Himmler ou bien Göring ? Qui est la personne dont l’absence auprès du premier homme nous fera oublier celui-ci ? Socrate a ouvert une grande ère dans la philosophie, mais si Platon n’existait pas qui pourrait se rappeler de Socrate ? On a placé Che derrière Fidel parce qu’on écrit l’histoire à rebours, mais si Raul Castro n’existait pas qui pourrait reconnaître Che ? Le Deuxième Homme, reste-t-il sous l’ombre du pionnier ou le pionnier doit son existence à cette ombre ? De Kafka à Lénine, de Mussolini à Darwin, tout près des noms génériques qui ont laissé leur empreinte dans la littérature, les sciences, l’art et la politique de leur époque et qui ont presque reconçu de nouveau les sociétés, se trouvent plusieurs noms qui mènent leur existence comme un fantôme; parfois ils se placent même devant eux. Erdinç Yücel raconte les deuxièmes hommes ainsi que l’arrière-plan historique de leurs époques, leurs réalisations et les résultats liés, avec une langue saturée, intelligible et confortable.
Nous trainons, un groupe d’individus ennuyés, quelque part dans le monde. Personne ne sait qui on connaît, d’où on se connaît. Toi, tu ne connais personne là-bas. 
Pourquoi tu es là-bas ? C’est parce qu’il y en a quelques-uns là-bas qui semblent attendre quelque chose se produise. Eh bien, ce qui se passe en réalité : nous nous ennuyons. Il n’y a rien à faire.  
Tu attends là-bas sans bouger, parce qu’on croit qu’un groupe d’individus réunis devraient avoir un objectif. Un d’entre eux devrait certainement savoir quelque chose. Où allons-nous ? Qu’est-ce qu’on va faire après ? Où va-t-on s’arrêter ?
D’accord, il ne faut pas être si injuste envers toi. Peut-être que tu as une bonne idée mais tu ne peux pas le dire ou bien tu possèdes seulement un petit fragment d’idées : « En fait, on peut aller de ce côté ! »
Mais ces pensées ne sortent jamais de ta bouche. Qui es-tu ? Qui t’écoute ? Pourquoi ? Imagine ce qui va se passer quand quelqu’un lève sa tête et oriente ses regards reprochant vers toi. Désastre … 
Sûrement quelques-uns doivent savoir quelque chose. Votre présence ici doit forcément vouloir dire quelque chose. Réfléchis donc, le contraire serait si absurde. 
C’est alors qu’une voix s’élève de la foule : « Oui les amis, on va de ce côté. » Tu te relaxes. Tu es prêt pour partir. Tu ne sais pas qu'il est, tu ne le connais pas du tout, mais parce qu’il est si sûr de lui, il doit absolument savoir quelque chose. 
Tu es prêt pour partir mais personne ne part. Tout le monde se regarde avec étonnement. C’est très ennuyant, n’est-ce pas ? N’est-il pas venu le temps de faire quelque chose ?   
Tu respires profondément. Tu diriges tes yeux vers cet étranger qui se trouve là-bas. Tu es certain qu’il sait quelque chose ; puis comme lui, tu t’adresses à la foule :
« Allez les amis, bougez maintenant, la seule chose qu’on doit faire c’est de le poursuivre. » 
Ainsi commence l’histoire du leader. Personne ne se soucie s’il sait quelque chose ou non. Il est maintenant le possesseur de cette phrase magique qu’aucun d’entre nous n’a pu oser prononcer : « Oui les amis, on va de ce côté. »  
Mais toi, tu es son témoin. « Je vous jure qu’il n’y a aucune raison pour que nous ne suivions pas cet être humain ! »
Il est un leader ! Votre leader … Longtemps, tu ne rappelleras même pas qu’en vérité c’était toi qui l’avait fait un leader tout à l’heure. Au moment où tu penses à ça, il sera trop tard pour tout. Tout le monde t’oubliera en peu de temps. On ne se souviendra plus qu’on ne le connaissait pas auparavant.  Après cette première phrase, on va oublier l’hésitation dont on avait fait preuve. On va oublier que d’abord on agissait à contrecœur et qu’on n’avait aucune intention de bouger. Jusqu’au moment où vous perdez votre chemin ou vous rencontrez votre premier accident de la route.    
Eh bien voilà, ça c’est le destin du deuxième homme. Le deuxième homme, c’est la lumière qui fait briller le leader ; il est l’instrument d’accentuation qui le souligne pour faire apparaître son importance. Il est le premier partisan du leader. C’est la première personne après le leader. Quand les affaires se compliquent, la société perd son chemin ou quelque chose ne va pas bien ; il sera aussi celui qui va payer pour ce qui est arrivé. Toi, tu es là pour être désigné comme le bouc émissaire de la société. Et alors, à cet instant, tout le monde va se souvenir de tout ce qu’ils avaient oublié auparavant, des éclairs jaillissent dans les têtes, puis tous les doigts se dirigent vers toi :
« N’était-ce pas toi qui nous avait dit qu’on pourrait avoir confiance en lui ? »
« Nous hésitons tous, parce que nous ne le connaissions pas ; mais toi, tu nous as rassuré. »
« Oui, oui, sans toi nous ne l’aurions pas suivi et on n’aurait pas ces ennuis. »
Malgré tout, il est risqué de diriger des regards accusateurs vers le leader. Puisque tant de personnes suivent le leader, quelques-uns doivent savoir quelques choses, n’est-ce pas ? Mais si on était sans leader ?
C’est un grand confort d’avoir quelqu’un qui réfléchit pour toi, décide pour toi, prend des risques pour toi et agit au nom de toi. Simplement, c’est le confort de rester là et de faire ce que les autres font …
Mais, il y a aussi un aspect magique du leadership. Le leader est une personne qui a le courage de réaliser des actes que les autres n’osent pas et qui exprime des paroles que les autres ne peuvent pas exprimer. Tout se passe de telle manière que, à un moment donné, on commence à croire que c’était le leader qui a transformé cette foule sans objectif en « une société ». Il est maintenant le père de la société. Le fondateur. Le protecteur.
C’est qui le leader ? Le leader est le possesseur de tous les succès. C’est pourquoi, quand la société trébuche, le responsable n’est jamais le leader. Tout ce qui est bien, juste et beau vient du leader ; tandis que le mal, le faux et le laid viennent du dehors. 
Autrement dit, pas de nous … Quelle relation peut-il avoir avec nous, celui qui est mal, faux et laid ? S’il n ' y a personne dehors, ça veut dire qu’il existe dedans des traîtres. Quelques-uns doivent désormais prendre en charge cette responsabilité. Par conséquent, bienvenue entre nous, l’ennemi de la société. Nous avions besoin de toi autant qu’on a besoin d’un leader et c’est à toi de prendre en charge cette tâche. À celui qui est le premier après le leader … À celui qui avait dit « Allons, suivons-le ! » … On t’appelle bouc émissaire, mais ton nom sera inscrit dans l’histoire comme « le grand défaitiste ».
« L'une des leçons les plus tristes de l'histoire est la suivante: si nous avons été embobinés assez longtemps, nous aurons tendance à rejeter toute preuve de l'embobinage. Nous ne serons plus intéressés à découvrir la vérité. L'embobinage nous a capturés. C’est tout simplement trop douloureux à reconnaître, même à nous-mêmes, que nous avons été pris. Une fois que vous donnez  à un charlatan le pouvoir sur vous, vous ne le récupérerez presque jamais. »
                                              --- Carl Sagan, The Demon-Haunted World : Science as a Candle in the Dark 
Notre petite jonglerie se manifeste juste ici, mais personne n’aura l’intention d’en parler. Vous êtes au courant du risque que vous avez pris ici, n’est-ce pas ? On peut parler à propos de grands mystères du monde, la grande image se vend toujours beaucoup. Les extraterrestres, les forces mystérieuses, les jongleurs qui mènent le monde par le bout du nez, les civilisations oubliées se vendent beaucoup. Surtout les organisations conspiratrices secrètes … Si secrètes qu’elles émergent des films Disney.     
Par contre, ces petites tricheries qui entourent notre vie ne se vendent pas. Personne ne veut les connaître, ni parler d’eux. 
On ne peut pas dire que vous n’avez pas raison. Il semble que si nous excluons les miracles de notre vie, le monde nous paraîtra sans saveur, sans goût. Sans super-héros, qui va nous sauver la vie ? Assurons-nous la responsabilité de tant de choses ? N’avons-nous pas d’autres tâches à accomplir ? Nous avons chassé les petits miracles de notre vie et tout à coup tout est devenu gris. 
La révélation de nos petits secrets ne nous plaît pas. On est bien ainsi. Qui meurt de petits mensonges ?      
Mais, une minute … Quelle était notre position ?
Le pionnier précède tout, car les autres le suivent. Il y aussi d'autres personnes qui se trouvent juste à côté du pionnier. Ceux-ci restent dans l’ombre autant que le pionnier éblouit les yeux. Leurs traces s’évanouissent, leurs voix ne s’entendent plus ; personne ne les souviendra le jour où ils disparaissent soudainement.       
Généralement, personne ne souhaite être un pionnier, mais on lutte sans merci pour se placer le plus proche possible du pionnier. Si on reconnaît les activités humaines comme une compétition, la plupart des gens se battent pour devancer le deuxième, mais non pas pour être le premier. Parce que ces places sont toujours réservées.  
D’accord. Alors, dans ces circonstances, pourquoi on ne parle que très peu à propos de cette cible que l’on désire atteindre ? Pourquoi oublie-t-on facilement ces vainqueurs de la compétition pour la deuxième place ? Pourquoi les laisser tellement dans l’ombre ?
Quelqu’un doit faire le récit de ces histoires. Les histoires de ceux qui sont dans l’ombre … Ainsi, on aura peut-être la possibilité de comprendre pourquoi le pionnier est en tête. Mais le récit d’une histoire pose un tas de difficultés. Il n’est pas possible de rendre heureux tout le monde en même temps. Faites tout ce que vous pouvez, vous ne pouvez pas obtenir l’affection de tout le monde. 
Les politiciens, les athlètes, les héros du peuple, les caractères fictifs … Ceux qui se trouvaient juste derrière les hommes qui ont orienté le cours de l’histoire … C’est qui le premier ? Tesla ? Edison ? Eisenstein ? Vertov ? C’est qui le deuxième ? Staline ? Trotski ? Goebbels ? Hess ? Himmler ? ou Göring ? Où placer les femmes ? Faut-il dire « derrière chaque grand homme il y a une femme » et ne rien faire ? Au lieu de l’homme de science, tu dis gens de science, ça va. Alors, mais est-ce que ça ira si tu dis deuxième personne au lieu de deuxième homme ? Quel est donc le critère ? Jusqu’où vont les frontières d’un livre ? Va-t-on insister sur le bienfait ou sur le succès ? Qui est la personne dont l’absence auprès du premier homme nous fera oublier celui-ci ? Socrate a ouvert une grande ère dans la philosophie, mais si Platon n’existait pas qui pourrait se rappeler de Socrate ? Şevket Süreyya avait écrit le Deuxième Homme, mais si, en Mai 1919 Kazım Pacha n’existait pas, serait-il possible que Mustafa Kemal fût le Mustafa Kemal que nous connaissons ? Lequel d’entre Danton, Marat et Robespierre faudrait-il exclure de l’histoire pour que la Révolution Française reste encore la Révolution Française que nous connaissons ? Lequel sera le premier homme, lequel le deuxième ? Deux d’entre eux ont été décapité, l’autre a été poignardé dans sa salle de bain ; l’héritage de la Révolution Française passa aux Girondins. Alors, qui est au courant de ces gens modérés ? On a placé Ernesto derrière Fidel parce qu’on écrit l’histoire à rebours, mais si Raul Castro n’existait pas qui pourrait reconnaître Ernesto ? Réfléchissez, tout le monde connaît Tyler Durden, mais Tyler Durden n’a jamais existé. Au début de l’histoire, Marla regarde le narrateur, le narrateur regarde Tyler, Tyler regarde Marla. Alors, qui pourrait être le deuxième homme dans le Fight Club ? En vérité, Tyler n’existe pas, toute l’histoire concerne Marla, mais Marla n’a pas pu être le premier homme de l’histoire. C’est vraiment absurde, n’est-ce pas ? Ce que je vais vous dire : Aimez-moi aussi. Pas beaucoup, mais un peu … Je n’ai aucune rancune envers vos deuxièmes et premiers hommes. La seule chose que je veux faire est de raconter les tristes histoires glorieuses des deuxièmes hommes, en vous amenant un peu dans le passé. 
Les ombres sont longues, ceux qui sont dans l’ombre sont nombreux ; mais il faut en tout cas vous raconter une histoire sans vous déplaire beaucoup. Au nom de la force des ombres …     
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